mercredi 10 octobre 2007

Il y a un an

Il a un an, je venais, comme chaque jour depuis un peu plus d’une semaine, te voir à la clinique. Je n’avais aucun pressentiment, j’étais juste contente de venir te voir, les horaires de visite étant plutôt courts.

Quand je suis arrivée, trois quarts d’heure avant l’heure normale des visites, je t’ai trouvé râlant, les yeux vitreux, respirant difficilement. J’ai vu tout de suite que ça n’allait pas et j’ai appelé à l’aide. Personne ne s’était encore rendu compte de ton état.

Je ne veux pas revenir sur l’incurie des « soignant », je parlerais juste du dernier petit moment que nous avons passé ensemble, ces quelques minutes que j’ai vécu avec toi, tes dernières minutes.

Je ne t’ai pas parlé pendant ces minutes. Je l’aurai dû peut-être, je ne sais pas. Te dire que je t’aimais par exemple. Je ne savais pas si tu étais encore conscient, si tu savais que j’étais là, si tu m’entendais. Je suis juste restée là, avec toi, à te caresser les cheveux, à te tenir la main, comme je pouvais car tu avais des tuyaux de partout et c’était pas facile de t’approcher.

Je regardais aussi et j’écoutais le battement de ton cœur relayé par la machine. Il battait très vite quand je suis arrivée et encore quand les infirmiers m’ont laissé avec toi. Puis il a commencé à ralentir. Lentement, inexorablement. Il est passé de 130 pulsations secondes à 80 qui était ton rythme normal. Puis il a continué à descendre. Quand il est descendu en dessous des 60 pulsations seconde, j’ai compris que tu vivais tes dernières minutes.

Je ne pleurais pas, pas encore. Je voulais surtout être avec toi, te soutenir, te toucher jusqu’au dernier moment.

Ces quelques minutes me sont infiniment précieuses. Je suis contente de les avoir vécu, d’avoir été là avec toi. Cela aurait été terrible pour moi d’arriver ce jour là et de te trouver déjà mort. Ce qui aurait pu arriver si je n’avais été en avance. Tu es mort à 15 heures, l’heure où les visites sont permises dans ce service.

Non, je ne t’ai pas dit que je t’aimais à ce moment là, mais, si tu sentais, ressentais encore quelque chose, je pense que tu as dû le sentir. J’espère te l’avoir transmis par tous mes gestes et t’avoir facilité un petit peu le passage.

Après, j’ai pleuré. Et puis j’ai eu une pudeur idiote que je regrette maintenant. Je n’ai pas osé demander à l’aide soignante une paire de ciseau pour couper une petite mèche de tes cheveux.

Garder un petit bout de toi. Un petit bout physique s’entend. Parce que des bouts de toi, j’en ais plein en moi et ils resteront là toute ma vie.

On est seul ...

... dans la vie. Toujours seul. Même avec un compagnon, même avec des enfants autour de soi. Même avec des amis, de la famille, on est seul.
A plus forte raison quand on vit le deuil. Pour ne pas peiner son entourage, on ravale son chagrin, on ne parle pas de ses souffrances.

Demain. C'est demain. Et aujourd'hui, je suis en plein détresse, comme il y a un an. J'y pense, j'y pense sans arrêt. Et je suis là, seule, chez moi, à pleurer.
Parce que quoi, on ne peut pas passer son temps à parler de sa douleur aux gens, même très proches.
Je ne peux en parler à ma fille. Apparemment, elle n'y pense pas, toute occupée par sa vie: le collège, les devoirs à faire, les copines, le petit copain, la musique, les concerts. Et c'est bien, tant mieux, il vaut mieux ainsi, pour elle.
Je ne peux en parler à sa fille à lui. D'abord parce que nous ne sommes plus si proches qu'avant. Et puis, pourquoi faire aussi? Raviver son propre chagrin?
Je ne peux en parler à son frère et sa soeur. Ils sont loins, à l'autre bout de la France. Les appeller? Pour leur remettre à eux aussi la tête dans le noir? Non, bien sûr.
Les amis? Ma plus proche amie vient de vivre la même chose que j'ai vécu avec mon mari, mais avec sa soeur. Il est bien évident que je ne vais pas l'appeller ou aller la voir pour lui parler de moi et de mon chagrin. Elle a déjà bien à faire avec le sien.
Mes soeurs? Si elles m'en parlent elles, bien sûr que je vais craquer et m'effondrer, contente de trouver une épaule où le faire. Mais sinon, pareil, je ne dirais rien non plus.
Ma mère? Je n'ai pas avec elle le genre de rapport qui me donne envie de la prendre pour confidente. Et puis, ce n'est plus la mère protectrice. C'est elle maintenant qui aurait plutôt besoin de protection.

Alors voila, j'en ais parlé ce matin à mon médecin et ce sera tout. Je n'en parlerai à personne d'autre. Je ne dirais à personne d'autre: c'est demain.